13 mars 2018
A propos du nouveau projet de réforme de la justice
Le Gouvernement s’attaque donc à un énième projet de réforme de la Justice. L’idée part, comme toujours, d’un bon sentiment, mais ce dont notre Justice a le plus besoin, c’est de moyens. On pourra avoir les meilleures idées du monde, rien ne sera possible si on ne donne pas à notre Justice les moyens financiers et humains pour les mettre en œuvre. A titre d’exemple, un dossier pénal délicat que je devais plaider la semaine dernière devant le Tribunal de Pontoise n’a pas pu être évoqué parce que le Greffe n’a pas été en mesure de me communiquer la copie de la procédure. Il a en conséquence été reporté au mois d’avril … 2019 !!! Allez expliquer ça aux justiciables… Ce n’est pas la faute du Greffe, mais du manque de moyens dont dispose le Greffe, ce n’est pas la faute des Magistrats, mais du manque de Magistrats.
La tendance pour tenter de pallier ce manque de moyens est de déjudiciariser voire de privatiser nombre de contentieux. Ainsi en est-il de l’arbitrage, justice privée et payante, illustrée de façon paroxysmique dans « l’affaire Tapie ». Ou encore, dans une moindre mesure des modes alternatifs de règlement amiable des conflits, telles la médiation et la conciliation, vers lesquels les justiciables sont de plus en plus orientés, pour tenter de désengorger les Tribunaux. C’est dans certains cas une excellente solution, notamment dans la « Justice du quotidien », mais c’est aussi, disons-le clairement, une forme d’échec de la Justice étatique, fonction régalienne par excellence.
Le projet exposé par Madame la Garde des Sceaux, de dessaisir les cours d’assises d’une partie des affaires criminelles au profit d’une tribunal criminel départemental, procède de cette même fuite en avant. Les cours d’assises sont surchargées, ce qui conduit parfois, comme on l’a vu récemment, à la remise en liberté de détenus, faute de pouvoir les juger dans des délais raisonnables. Cela est évidemment inacceptable pour l’opinion publique, pour les victimes et plus généralement pour la Justice. D’où l’idée, pour juger plus vite (et moins cher), de confier le contentieux des crimes dont les peines encourues sont inférieures à 20 ans de réclusion criminelle, à une nouvelle juridiction dont les contours n’ont pas été précisés, mais dont on sait qu’elle sera composée de magistrats professionnels, sans les jurés populaires qui constituent, depuis la Révolution, la spécificité de notre Justice criminelle. Là est le problème. La Justice est rendue dans notre pays « au nom du peuple Français ». Pour les crimes, c’est-à-dire les infractions les plus graves, le peuple est représenté par des jurés tirés au sort, auxquels la loi demande de juger en suivant leur intime conviction. Or ce n’est pas la même chose d’être un juge « occasionnel » et un juge professionnel, de sorte que l’intime conviction de l’un et de l’autre peut, dans bien des cas, être sensiblement différente. La question n’est pas de savoir lequel est le plus laxiste ou le plus répressif (il n’y a ni règle ni logique en la matière), mais les éléments qui façonnent leur intime conviction ne sont nécessairement pas les mêmes. C’est d’ailleurs pourquoi notre code de procédure pénale prévoit leur cohabitation sous la forme de l’échevinage. La réforme proposée par le Gouvernement ne se limitera donc pas à créer une sorte de « super tribunal correctionnel » ou « sous cour d’assises », mais conduira nécessairement à remettre en cause toute la philosophie et donc l’équilibre de notre justice criminelle.