1 octobre 2018
AGENT COMMERCIAL : NOUVEL EPISODE DE LA LUTTE ENTRE LA CJUE ET LA COUR DE CASSATION
La situation des agents commerciaux à la fin de leurs contrats ne finit pas d’alimenter des procédures contentieuses dont la finalité économique est évidente eu égard au montant de l’indemnité à laquelle peut prétendre un agent commercial en cas de rupture de son contrat (en principe, 2 ans de commissions).
Une exception était prévue à cette indemnité (outre les cas habituels de fautes graves parmi lesquelles on retrouve le plus souvent la distribution de produits concurrents) par la Cour de Cassation qui, depuis une jurisprudence constante, (Cass. Com 17/07/2001, RJDA 2002 n° 36 et Cass. Com 23/06/2015, n° 14/17894 – RG DA 216 n° 103 considérait que le droit à indemnité de l’agent commercial devait être écarté lorsque le contrat était rompu pendant la période d’essai stipulée dans celui-ci.
Cette dernière en effet étant susceptible d’anéantir rétroactivement le contrat. Le droit à indemnité disparaissait lui aussi tout aussi rétroactivement.
Dans le cadre d’un litige qui opposait un agent commercial à son commettant, qui avait mis un terme au contrat pendant la période d’essai au motif notamment que l’agent n’avait effectué qu’une seule vente au cours des six derniers mois, la Cour de Cassation s’est saisie du problème et, sur question préjudicielle, a interrogé la CJUE sur la portée des dispositions de l’article 18 de la Directive n° 86-653CE du 18/12/1986 transposée à l’article L.134-13 du Code du Commerce conformément à l’article L.134-12 (article 17 de la Directive précitée), en cas de résiliation du contrat par le mandant, l’agent commercial avait droit à une indemnité du préjudice que lui cause l’extinction prématurée de son contrat, et le fait que cette règle était d’ordre publique.
La CJUE a considéré qu’il « n’était pas possible d’écarter cette règle, même lorsque le contrat était résilié en cours de période d’essai ».
Elle a précisé que, si aucune disposition de la Directive du 18 décembre 1986 ne s’oppose à l’introduction d’une période d’essai dans un contrat d’agence commerciale, les effets juridiques de cette période d’essai « ne peuvent pas affecter l’effectivité du droit à indemnité consacré par la Directive dont les dispositions sont applicables dès que le contrat est en conclu ».
En particulier, le fait que le contrat d’agent ne serait pas encore définitivement conclu pendant la période d’essai ne trouve aucun fondement dans la directive précitée.
Dans la mesure où le régime d’indemnisation et de réparation prévu par le texte européen vise, non pas à sanctionner une rupture mais à dédommager l’agent commercial de ses prestations passées, il continue à bénéficier de cette disposition au-delà de la cessation du contrat pour les frais et préjudice qu’il subit du fait de cette rupture.
La CJUE relevant que seul l’article 18 de la Directive (L.134-13 du Code du Commerce) qui énumère limitativement les cas dans lesquels l’indemnité n’est pas due ne prévoit pas de cas de figure et que, dans cette hypothèse, et dans la mesure où il s’agit d’une interprétation stricte, la rupture de la période d’essai n’y est pas mentionnée.
Cette jurisprudence (CJUE 19 avril 2018 – Affaire n° 645-16) laisse donc augurer nécessairement un revirement de la jurisprudence française précitée.
L’agent commercial pouvant à présent prétendre, en cas de rupture du contrat pendant la période d’essai, à une indemnisation.
La CJUE n’indique pas si elle entend appliquer strictement le montant de cette indemnisation.
Il n’y aura, à n’en pas doute, un abondant débat à ce sujet.
Cela signifie qu’à présent, l’intérêt de l’introduction d’une période d’essai dans les contrats d’agence se pose réellement, même s’il pourrait être objecté qu’au regard de cet aléa, l’agent se devait d’anticiper une éventuelle rupture et ne pas investir plus que de raison.
Réf. CJUE 19/04/2018 – Affaire 645/2016 : Conseil et Mise en Relation (CMR) / société Demeure Terre et Tradition