6 juin 2019
Bail commercial : position de la Cour de Cassation sur la clause de garantie entre le cédant et le cessionnaire.
La doctrine et les praticiens se sont interrogés sur la nature impérative ou non de plusieurs des dispositions de la loi n°2014 2014, dite loi « Pinel » .
Ces questionnements n’étaient pas sans intérêt puisque, lorsque le législateur ne l’avait pas expressément exclu, nombreux sont les articles de la loi Pinel ayant fait l’objet de clauses dérogatoires.
Ainsi, par exemple, des dérogations au droit de préemption institué au profit du preneur par l’article L.145-46-1 du Code de commerce ont été intégrées quasi-systématiquement dans les baux mais par une décision en date du 28 juin 2018 (C.Cass. 3ème civ., 28 juin 2018, n°17-14.605) , la Cour de Cassation a affirmé le caractère impératif de ces nouvelles dispositions.
La même question a pu émerger s’agissant de l’article L.145-16-2 du Code de commerce aux termes duquel, le législateur est venu encadrer la durée de la garantie de solidaire du cédant prévue au bail à une durée de trois ans à compter de la cession.
L’application dans le temps de ces nouvelles dispositions a également donné lieu à discussions.
Par une décision du 11 avril 2019 (C.Cass. 3ème civ., 11 avril 2019, n°18-16.121 ), la Cour de Cassation a mis un terme aux débats en précisant :
– que ces dispositions n’étaient pas d’application immédiate ; et
– qu’elles revêtaient en revanche un caractère d’ordre public.
1/ Rappel sur l’objet et la nature de la clause de garantie solidaire du cédant
Bien souvent, les baux commerciaux contiennent une clause instituant une garantie solidaire du cédant en cas de cession du droit au bail, au profit du bailleur, pour toutes les sommes qui pourraient être dues par le preneur cessionnaire dans le cadre de la relation locative.
Cette clause de garantie présente un intérêt non négligeable puisqu’elle permet au bailleur de s’assurer du paiement notamment du loyer et des charges par le nouveau locataire.
L’étendue de cette garantie est toutefois interprétée strictement par les Tribunaux.
Avant l’adoption de la loi Pinel, ces clauses étaient fréquemment conclues pour toute la durée du bail restant à courir à compter de la cession, voire pour sa tacite prolongation et ses éventuels renouvellements.
Cette pratique avait conduit la jurisprudence à intervenir afin de limiter ses effets dans le temps, en cantonnant notamment son application à la durée du bail restant à courir.
2/ Les apports de la décision de la Cour de Cassation du 11 avril 2019
Les faits ayant donné lieu à la décision du 11 avril 2019 étaient les suivants : un preneur occupant différents sites industriels détenus par le même bailleur avait fait procéder à un apport partiel de branches de son activité à plusieurs sociétés ayant conduit au transfert des baux au profit de celles-ci.
Le bailleur a appelé en garantie l’apporteur afin d’obtenir le paiement de loyers et des charges.
Le bailleur se fondait pour ce faire sur la clause de garantie contractuelle prévoyant que le cédant demeurerait garant solidaire de son cessionnaire du paiement du loyer et des charges jusqu’à l’expiration de la durée restant à courir du bail à compter de la date de la cession.
Les juges du fond ayant fait droit à la demande d’application de cette clause, le preneur initial s’est pourvu en cassation arguant du caractère d’ordre public des dispositions de l’article L.145-16-2 du Code de commerce ainsi que de l’application immédiate de ces nouvelles dispositions.
– l’application immédiate des dispositions de l’article L.145-16-2 du Code de commerce
Par cette décision, la Cour de cassation vient préciser que le nouvel article L.145-16-2 du code de commerce n’est pas d’application immédiate.
La Cour de Cassation justifie sa position par le fait que cet article ne répond pas à un motif impérieux d’intérêt général justifiant son application immédiate aux baux en cours.
Elle précise en outre que l’existence de la garantie solidaire résulte de la volonté des parties.
En effet, la limitation dans le temps de la garantie solidaire ne trouvera à s’appliquer que pour autant que les parties aient convenu d’insérer une telle clause au sein du bail.
Ces dispositions s’appliquent ainsi aux baux conclus ou renouvelés à compter du 20 juin 2014.
– le caractère d’ordre public des dispositions de l’article L.145-16-2 du Code de commerce
A défaut d’être expressément visé par l’article L.145-15 du Code de commerce énumérant les dispositions du statut des baux commerciaux ayant un caractère d’ordre public, on aurait pu croire qu’il était possible de déroger à ce nouvel encadrement.
La Cour de Cassation s’est positionnée en sens contraire, considérant que la limitation dans le temps de la garantie solidaire du cédant à une durée de trois ans, était d’ordre public.
Il en résulte que toutes les clauses dérogatoires contenues dans les baux conclus postérieurement à au 20 juin 2014 ne trouveront pas à s’appliquer.
Cette position se comprend puisque le législateur a pris le soin de créer un nouvel article à l’effet d’encadrer la durée de la garantie. Aussi, permettre aux parties de ne pas appliquer ces nouvelles dispositions les auraient privées de leur substance.
Si ces éclaircissements sont bienvenus, reste qu’une question demeurera en suspens, à savoir si l’article L.145-16-1 du Code de commerce qui impose au bailleur, en cas de clause de garantie du cédant, d’informer celui-ci de tout de défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée, revêt la même nature que l’article L.145-16-2 du Code de commerce .