25 mars 2020
Covid-19 : CONTRATS COMMERCIAUX, FORCE MAJEURE, RENEGOCIATION : QUE FAUT-IL FAIRE ?
Le 28 février 2020, Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances, a déclaré que le coronavirus sera « considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises » intervenant dans le cadre de marchés publics.
Qu’en est-il des contrats commerciaux ? Une partie peut-elle suspendre l’exécution de ses obligations ou mettre fin à un contrat sur le fondement de la force majeure ou encore solliciter sa renégociation sur le fondement de l’imprévision ?
1. Quelles sont les conditions pour invoquer la force majeure ?
L’épidémie de coronavirus et, plus particulièrement, les mesures drastiques prises par les autorités chinoises puis internationales (confinement, suspension des transports, fermetures des frontières, restrictions des déplacements, etc.), sont susceptibles de constituer un cas de force majeure (article 1218 du Code civil) :
(i) d’une part, si le contrat a été conclu avant l’identification du coronavirus, que l’on situe aux alentours du 15 janvier 2020 et, en toute hypothèse, avant l’état d’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) décrété par l’OMS le 30 janvier 2020 ;
(ii) d’autre part, s’il est démontré que la situation empêche, totalement, l’exécution de l’obligation et qu’il n’existe aucune « mesures appropriées » permettant de fournir la prestation attendue (sous-traitance, autre forme de travail, autre circuit d’approvisionnement et/ou de distribution, changement de lieu de fabrication).
Dans tous les cas, il sera nécessaire d’apporter le plus grand soin à la démonstration du lien de causalité entre l’épidémie et/ou les mesures l’accompagnant et l’inexécution contractuelle.
2. Quels sont les effets de la force majeure ?
Si les conditions ci-dessus sont satisfaites, vous êtes en présence d’un cas de force majeure, de sorte qu’aucuns dommages-intérêts ni pénalités de retard ne seront dus au créancier.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation se trouvera suspendue et deviendra de nouveau exigible dès que l’épidémie et les mesures l’accompagnant auront cessé.
Cependant, dans l’hypothèse où la date d’exécution de la prestation serait un élément essentiel du contrat pour le créancier, ce-dernier sera fondé à en solliciter, sans attendre, la résolution.
Si l’empêchement est définitif, le contrat sera résolu de plein droit et les parties libérées de leurs obligations, sauf si :
-les parties ont prévu dans le contrat que le débiteur prend à sa charge les risques et conséquences d’un cas de force majeure ;
– le débiteur a été mis en demeure d’exécuter son obligation avant que ne survienne le cas de force majeure.
3. Quelles sont les conditions pour demander la renégociation d’un contrat ?
Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 ne peuvent pas être modifiés par le juge. Les parties, quel que soit le changement de circonstances, demeurent tenues d’exécuter leurs obligations, sauf cas de force majeure (supra).
Cela étant, des clauses contractuelles d’adaptation (« hardship »), telle qu’une indexation, ou de résiliation, peuvent avoir été prévues par les parties en cas de changement brutal et inopiné de circonstances.
Il convient également de rappeler que les parties disposent, systématiquement, d’une faculté de résiliation unilatérale dans les contrats à durée indéterminée, sous réserve de respecter une durée de préavis suffisante.
Pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016, à défaut de parvenir à démontrer l’existence d’un cas de force majeure, il est possible d’en solliciter la renégociation, à condition de démontrer (article 1195 du Code civil) :
(i) d’une part, que l’épidémie et/ou les mesures l’accompagnant constitue un « changement de circonstances » qui ne pouvait être prévu lors de la conclusion du contrat ;
Seul le « changement de circonstances » doit être imprévisible, ce qui, à la différence de la force majeure, semble autoriser la renégociation d’un contrat conclu postérieurement au 30 janvier 2020, à une date à laquelle la nature et la portée des mesures gouvernementales étaient encore inconnues.
(ii) d’autre part, que ce changement de circonstances rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse, de sorte qu’il a perdu son intérêt économique pour la société qui l’invoque (par exemple : déficit d’exploitation ou dépassement du prix prévisionnel).
Une partie qui ne serait pas fondée à invoquer la force majeure, compte-tenu de l’existence de « mesures appropriées » permettant de fournir la prestation attendue, pourrait donc invoquer l’article 1195 du Code civil si ces mesures s’avèrent excessivement onéreuses.
4. Quelles sont les modalités de la renégociation du contrat ?
Si les conditions ci-dessus sont satisfaites, vous êtes en présence d’un cas d’imprévision, de sorte que la partie dont l’obligation est devenue excessivement onéreuse peut demander à son cocontractant une renégociation du contrat.
Cependant, à la différence de la force majeure, cela ne l’autorise pas à interrompre son exécution durant la période de renégociation.
Si la demande de renégociation est rejetée ou si elle n’aboutit pas à une redéfinition des obligations respectives des parties acceptable par chacune d’entre elles, ces-dernières peuvent
-convenir de la résolution du contrat, aux conditions qu’elles déterminent ;
-demander, d’un commun accord, au juge de procéder à son adaptation ;
-faute d’accord des parties dans un délai raisonnable, l’une d’entre elles peut saisir le juge pour réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.
5. Une lecture attentive des dispositions contractuelles et de vos polices d’assurance
Les parties peuvent aménager ou exclure l’application des articles 1195 (imprévision) et 1218 (force majeure) du Code civil.
Aussi, il convient, avant tout, de vérifier l’existence de clauses relatives à l’imprévision et à la force majeure dans votre contrat et, le cas échéant, de déterminer si les « maladies », « épidémies » ou encore « mesures gouvernementales » en font partie.
Tel pourra être le cas si ces évènements sont listés comme constitutifs de cause d’imprévision ou de force majeure ou s’ils répondent à la définition qu’en ont donné les parties.
Il faut ensuite respecter les conditions de mise en œuvre de ces clauses (obligation d’information, délais, formalités, tel que l’envoi d’une « notice »/déclaration, etc.).
Une attention particulière doit être portée aux stipulations contractuelles en matière de communication, de gestion des retards ou encore d’inexécution des obligations.
En toute hypothèse, il est nécessaire de tenir rapidement informé votre cocontractant des difficultés que vous rencontrez, voire de l’impossibilité, temporaire ou définitive, d’exécuter vos obligations.
Nous appelons également à la plus grande vigilance en cas de négociation, rédaction ou renouvellement d’un contrat dans le contexte actuel.
L’épidémie de coronavirus étant désormais bien identifiée, ni la force majeure ni, vraisemblablement, l’imprévision ne pourront être invoquées pour les contrats conclus à l’avenir.
Aussi, pour ces nouveaux contrats, nous recommandons de prévoir des dispositions particulières et/ou transitoires, relatives aux conséquences, présentes ou futures, de l’épidémie.
Enfin, nous vous invitons à consulter vos polices d’assurance, afin de déterminer si les difficultés que vous rencontrez sont couvertes. En pratique, il est malheureusement rare que les pertes d’exploitation soient prises en charge, a fortiori lorsqu’elles ne résultent pas d’un dommage matériel.
Notre cabinet est mobilisé pour vous aider à surmonter les difficultés rencontrées dans le cadre de votre activité et vous accompagner dans le choix des mesures à mettre en œuvre pour y faire face.