13 novembre 2018
Fin du verrou de Bercy : vers une pénalisation du droit fiscal ?
La loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude vient d’être publiée au journal officiel.
La principale mesure de cette loi est la suppression du monopole de Bercy concernant l’opportunité des poursuites en matière de fraude fiscale, plus communément appelé « verrou de Bercy ».
En effet, ce monopole qui existait depuis 1920 réservait à l’Administration fiscale le choix de déposer plainte dans les dossiers de fraude fiscale. Le procureur de la République qui, en droit commun, dispose de l’opportunité des poursuites ne pouvait, en droit fiscal, mettre en mouvement l’action publique qu’à la condition de l’existence d’une telle plainte.
En outre, ce dépôt de plainte était soumis à l’accord de la Commission des Infractions Fiscales.
Ce dispositif, très critiqué, avait été soumis à l’appréciation du Conseil Constitutionnel par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. Les Sages n’y avaient vu, dans leur décision 2016-555 QPC du 22 juillet 2016, aucune atteinte disproportionnée aux principes d’indépendance de l’autorité judiciaire et de séparation des pouvoirs.
La loi du 23 octobre 2018 définit désormais les conditions de mise en œuvre des poursuites pénales en cas de fraude en modifiant les dispositions de l’article L228 du Livre des Procédures Fiscales.
L’Administration fiscale est désormais tenue de dénoncer au procureur de la République compétent les faits révélés dans le cadre des contrôles effectués et qui ont conduit à l’application « sur des droits dont le montant est supérieur à 100.000 € » de majorations spécifiques limitativement énumérées, à savoir :
– les majorations de 100 % en cas d’évaluation d’office pour opposition à contrôle fiscale,
– les majorations de 80 % prévues en cas d’activité occulte, de manœuvres frauduleuses, abus de droit ou dissimulation du prix,
– les majorations concernant les sommes figurant sur des comptes étrangers non déclarés,
– les majorations de 40 % en cas de récidive au cours des six années civiles précédant son application.
Deux critères doivent donc être réunis pour que l’Administration fiscale soit tenue de dénoncer les faits au parquet au regard à la fois du montant minimum des droits éludés et de l’application de majorations témoignant d’une intention frauduleuse.
Le seuil de 100 000 € est ramené à 50 000 € pour les personnes soumises, dans le cadre de leur mandat politique, à une déclaration de patrimoine.
Dans les dossiers dans lesquels ces critères ne sont pas remplis, l’Administration fiscale conserve toujours la possibilité de déposer plainte mais doit alors, au préalable, obtenir l’avis conforme de la Commission des Infractions Fiscales.
En tout état de cause, le parquet sera désormais libre d’exercer ou non des poursuites pour fraude fiscale.
En outre, les magistrats auront la possibilité d’étendre leurs investigations à des faits nouveaux, sans plainte complémentaire de l’Administration.
Compte tenu de ces nouvelles dispositions, le périmètre des dossiers pour lesquels le Ministère Public pourra engager des poursuites devrait être considérablement élargi puisque, soumise à l’obligation de dénoncer au visa de l’article 40 du Code de procédure pénale, l’Administration fiscale sera tenue d’informer systématiquement les parquets compétents des faits constatés, et cela même si une transaction fiscale a été conclue avant la mise en recouvrement.
Seule une transaction conclue avant l’envoi de la proposition de rectification, de la réponse aux observations du contribuable ou du récapitulatif des conséquences finances concernant les pénalités serait de nature à éviter l’application de ce nouveau dispositif.
En revanche, les contribuables ayant spontanément régularisé leur situation avant tout contrôle fiscal ne se verront pas appliquer ces nouvelles dispositions.
Sans aucun doute, la suppression de ce « verrou » s’inscrit dans une logique de renforcement de la lutte contre la fraude fiscale.
Il suffit pour s’en convaincre de parcourir la loi du 23 octobre 2018 et de relever que son article 23 renforce la répression pénale des délits de fraude fiscale et de fraude fiscale aggravée, définis à l’article 1741 du Code Général des Impôts, en prévoyant que le montant des amendes puisse être porté au double du produit tiré de l’infraction pour les personnes physiques, et, par voie de conséquence, au décuple pour les personnes morales.
Il suffit également de rappeler que l’affichage de la décision judiciaire prononcée et sa publication dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du Code pénal devient le principe auquel le juge ne pourra déroger que par une décision spécialement motivée, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.
Ce n’est donc plus seulement un risque pénal et financier qui est encouru mais également un risque d’exposition médiatique et d’atteinte à l’image et à la réputation des personnes physiques et surtout morales ainsi exposées.
Pour faire face à ce renforcement du dispositif législatif et aux risques qu’il induit, les équipes des départements de droit fiscal et de droit pénal du cabinet Jakubowicz, Mallet-Guy & Associés se mobilisent pour vous accompagner, vous conseiller et vous assister dans les procédures en cours ou à venir.