24 septembre 2019
Le crédit d’impôt recherche potentiellement revu à la baisse en 2020 ?
L’article 244 quater B du Code Général des Impôts a institué, dès 1983, un dispositif d’incitation fiscale au développement de l’effort de recherche scientifique et technique des entreprises.
A ce jour, le crédit d’impôt est égal à 30 % des dépenses de recherche (après prise en compte le cas échéant des subventions et avances remboursables) inférieures ou égales à 100 millions d’euros (et à 5 % au-delà). Il s’agit de l’un des dispositifs les plus incitatifs au monde, même si malgré lui, la France n’apparait qu’au 16ème rang mondial des pays les plus innovants et au 9ème rang au plan européen[1]. Il n’en demeure pas moins un formidable outil d’attractivité du territoire national pour les groupes internationaux et un élément de compétitivité indéniable pour les entreprises françaises désireuses de mener des efforts de R&D importants.
Ce dispositif bénéficie à l’ensemble des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles imposées d’après leur bénéfice réel ou exonérées en vertu de certaines dispositions du Code précité, et ce qu’elles que soient la forme sociale (sociétés de capitaux, sociétés de personnes, etc.), sous réserve bien entendu que les conditions prévues par l’article susvisé soient remplies.
Les entreprises susvisées doivent ainsi mener des activités de recherche fondamentale, de recherche appliquée ou de développement expérimental, lesquelles sont notamment définies par le Manuel de Frascati[2] et l’Administration fiscale[3]. Celle-ci précise notamment que « le critère fondamental permettant de distinguer la R&D des activités connexes est le fait qu’un projet de R&D doit combiner un élément de nouveauté non négligeable avec la dissipation d’une incertitude scientifique et/ou technique. Autrement dit, le projet de R&D vise à résoudre un problème dont la solution n’apparaît pas évidente à quelqu’un qui est parfaitement au fait de l’ensemble des connaissances, pratiques et techniques couramment utilisées dans le secteur considéré. Les opérations de R&D représentent donc un écart appréciable par rapport au savoir-faire de la profession ou aux pratiques généralement répandues dans le domaine d’application concerné. Comme indiqué précédemment, un projet de R&D vise à accroître les connaissances (…). Les incertitudes scientifiques et/ou techniques doivent être distinguées à ce titre des incertitudes quant au résultat économique ou commercial. »
Le schéma suivant résume la démarche que l’entreprise peut suivre afin de s’assurer de l’éligibilité de ses activités au CIR[4] :
Une fois le périmètre d’éligibilité défini, l’entreprise doit recenser et valoriser les dépenses éligibles correspondantes. Il convient de noter à cet égard que le crédit d’impôt recherche est indépendant du mode de comptabilisation des dépenses : par conséquent, les coûts de développement, bien que pouvant être immobilisés sur le plan comptable, peuvent être pris en compte dans la base du crédit d’impôt relatif à l’année au cours de laquelle ils ont été exposés dès lors qu’ils remplissent les conditions d’éligibilité susvisées. Bien entendu, il conviendra dans ce cas de ne pas retenir une seconde fois les mêmes dépenses au titre de l’amortissement ultérieur de l’immobilisation par l’entreprise.
Les catégories de dépenses potentiellement éligibles sont les suivantes :
- dotations aux amortissements des immobilisations affectées, en tout ou partie à la recherche ;
- dépenses de personnel (salaires, primes, avantages en nature, participation/intéressement et cotisations patronales obligatoires) ;
- dépenses de fonctionnement ;
- dépenses de recherche externalisées auprès d’organismes de recherches publics (les dépenses étant alors retenues pour le double de leur montant) ou d’organismes privés agréés par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans la limite de certains plafonds toutefois. Précisons qu’une attention toute particulière doit être portée à ces dépenses, l’administration fiscale adoptant une position de plus en plus restrictive à leur égard lors des vérifications de comptabilité ;
- dépenses relatives aux brevets (dépôt, maintenance et défense) et certificats d’obtention végétale ;
- dépenses de veille technologique, dans la limite de 60 000 euros par an ;
- dépenses de normalisation afférentes aux produits de l’entreprise.
Ces dépenses doivent correspondre, d’une part, à des opérations réalisées dans l’Union européenne ou un Etat membre de l’Espace économique européen (Lichtenstein, Islande et Norvège) ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ; toutefois cette condition de territorialité ne s’applique pas aux dépenses de veille technologique et de brevets[5]. D’autre part, les dépenses doivent être retenues pour la détermination du résultat imposable à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun.
Enfin, les subventions publiques et avances remboursables reçues au titre de projets éligibles viennent en déduction des dépenses éligibles qu’elles financent[6] ainsi que les honoraires de conseils s’ils excèdent certains plafonds.
Le crédit d’impôt recherche est régulièrement pointé du doigts au prétexte qu’il bénéficierait surtout aux grandes multinationales qui y verraient un effet d’aubaine et qu’il pèserait fortement sur les finances publiques dans un contexte économique tendu[7]. En dépit des recommandations émises par la Cour des comptes[8], ce dispositif a néanmoins toujours été maintenu sans grands bouleversements, et même « sanctuarisé » par le Président Macron et dernièrement par le Ministre de l’économie et des finances, Bruno Lemaire, lors de son discours du 11 juillet dernier à l’Assemblée Nationale dans le cadre du débat d’orientation des finances publiques en vue du Projet de Loi de Finances pour 2020 : « Le CIR est un pilier de notre politique d’innovation. Il permet de rendre notre territoire beaucoup plus attractif. Un ingénieur français est deux fois moins cher qu’un ingénieur américain. Il n’est en aucun cas question de le remettre en cause. Le CIR est sanctuarisé et le restera. »
Cela étant, tout en sanctuarisant ce dispositif, le Ministre a également affirmé que « la baisse de l’impôt sur le revenu en 2020 sera en partie financée par une baisse des niches fiscales sur les entreprises, comme le président de la République l’avait annoncé. Il n’est pas illégitime de réduire certaines niches au moment où toutes les entreprises voient leur taux d’impôt sur les sociétés baisser. ». Outre les niches fiscales relatives au gazole non routier et au mécénat, le Ministre a expressément visé le crédit d’impôt recherche et évoqué ainsi une baisse des dépenses de fonctionnement éligibles audit dispositif : « Ce qui est le moteur de l’innovation, ce sont les ingénieurs et les investissements, bien plus que les dépenses de fonctionnement. Nous suivrons donc les recommandations de la Cour des Comptes, qui propose de ramener les frais de fonctionnement à un taux compris entre 40 et 46 %. Le taux sera de 43 % et permettra de dégager un rendement de 200 M€ dès 2021. »
On rappellera à cet égard que les dépenses de fonctionnement correspondent actuellement à 75% des dépenses d’amortissements auxquelles s’ajoutent 50% des dépenses de personnel (voire même 100% des dépenses de personnel relatives aux jeunes docteurs dont la base est elle-même doublée dans ce cas précis, sous certaines conditions). La précision donnée par le Ministre n’est à ce stade qu’une proposition qui devra néanmoins être attentivement suivie. En effet, si cette mesure devait revenir sur le devant de la scène, il conviendrait à tout le moins d’en préciser la portée exacte. En effet, à ce stade, si l’on peut penser que le taux de 43% se substituerait au seul taux de 50% afférent aux dépenses de personnel, un doute subsiste néanmoins. Par ailleurs, si tel était bien le cas, force est de constater que le cas des dépenses de fonctionnement relatives aux jeunes docteurs n’est pas précisé.
On le voit, le crédit d’impôt recherche serait modifié à la marge. Cela étant, certains contribuables sont déjà prêts à défendre la sanctuarisation de ce dispositif dans l’hypothèse où celui-ci viendrait à être réformé en profondeur : Bernard Charlès, Directeur général de Dassault Systèmes a notamment indiqué[9] :
« Le crédit d’impôt recherche est fondamental pour la compétitivité de la France. Je crois que le gouvernement le sait. Le politique le sait, le ministre de l’économie, Monsieur Le Maire, le sait parfaitement. Je crois qu’il est possible qu’il y ait des ajustements sectoriels à faire mais pour ce qui concerne la tech, c’est un élément capital de compétitivité de notre territoire ». A la question de la journaliste « et dans le cas où il y toucherait, vous seriez prêt à fermer vos centres de R&D en France ? », la réponse est sans ambiguïté : « Les choses ne se font pas comme ça en les ouvrant ou en les fermant. Mais il est clair que, à partir du moment où on sait trouver des compétences dans d’autres pays et des conditions favorables, il y a nécessairement des tendances sur le long terme qui sont marquées. (…) »
Gageons que cette analyse soit partagée par bon nombre de sociétés bénéficiant du dispositif et qu’il serait donc difficile pour le Gouvernement de le modifier de façon substantielle ; une telle modification mettrait à mal l’attractivité fiscale de la France dans ce domaine et celle-ci s’exposerait alors probablement à un exode massif des centres de R&D présents sur son territoire. Or, dans le contexte économique actuel, le Gouvernement ne peut se le permettre.
[1] « Global Innovation Index 2019 rankings’ : l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMNI), l’université de Cornell et l’Insee réalisent un classement annuel des pays les plus innovants.
[2] Manuel élaboré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dont la dernière édition date de 2002 et qui constitue la référence internationale pour la définition du périmètre des activités de R&D
[3] BOI-BIC-RICI-10-10-10-20-20161102
[4] Source : BOI précité, n°300
[5] L’article 71 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a étendu l’exception de territorialité applicable aux dépenses de veille technologique et de défense de brevets aux frais de prise et de maintenance de brevets et de certificats d’obtention végétale (CGI, art. 244 quater B, II-e) pour les dépenses exposées à compter du 1er janvier 2014
[6] En cas de remboursement ultérieur de l’avance, celui-ci est pris en compte dans la base du crédit d’impôt de l’année au cours de laquelle il intervient
[7] Le crédit d’impôt recherche coûte environ 6 Milliards d’euros par an à l’Etat selon le Ministère de l’économie
[8] Rapport du 11 septembre 2013 sur l’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche
[9] BFM Business, 12 H, l’heure H du 24 juillet 2019