20 février 2019
Le régime général de protection du secret des affaires instauré par la loi 2018-670 du 30 juillet 2018
Pendant longtemps, les renseignements non divulgués, propriétés immatérielles, ont été protégés par des règles relatives à la concurrence déloyale.
Il fût ensuite décidé qu’au niveau européen, l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touche au commerce intègrerait des règles touchant à la propriété intellectuelle dans le commerce international.
Cet accord s’intéressait, entre autres, à la protection du secret des affaires autrement dénommé « renseignements non divulgués », protégé par l’article 39 dudit accord lequel a été transposé dans la directive 2016- 943 du 8 juin 2016 sur la protection du secret des affaires.
La loi 2018-670 du 30 juillet 2018 vient, quant à elle, de transposer cette directive.
L’information protégée au titre du secret des affaires est désormais clairement définie (I) et doit faire l’objet de mesures de protection dans l’entreprise (II). Une procédure judiciaire permet de prévenir, faire cesser et/ou réparer une atteinte au secret des affaires (III), lequel est également protégé pendant le procès.
I- Définition de l’information protégée au titre du secret des affaires
L’information protégée au titre du secret des affaires est ainsi celle qui répond aux trois critères cumulatifs suivants, posés par l’article L. 151-1 du Code de commerce :
« 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »
La loi prévoit néanmoins que le secret des affaires n’est pas opposable dans trois hypothèses :
(i) lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l’Union européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national, notamment dans l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives ;
(ii) lorsque, à l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :
– pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte ;
– pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national ;
(iii) lorsque, à l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires :
– l’obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants ;
– la divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice.
L’information ainsi obtenue ou divulguée demeure protégée au titre du secret des affaires à l’égard des personnes autres que les salariés ou leurs représentants qui en ont eu connaissance.
II -Les méthodes internes de protection du secret des affaires
Il est nécessaire, avant toute saisine du juge, que le détenteur de l’information confidentielle mette en place des mesures pour éviter que ces informations soient révélées, sans autorisation, à des tiers. Ces mesures varient du fait de la qualité du tiers qui sera au contact de l’information confidentielle, qu’il s’agisse d’un salarié de l’entreprise (i) ou d’un cocontractant (ii).
(i) Le cas du salarié de l’entreprise :
- Le salarié a une obligation générale de discrétion qui lui interdit de révéler à des tiers les informations confidentielles, secrets, tours de mains, méthodes, savoir-faire, ou tout autre élément de nature confidentielle qu’il aura acquis du fait de sa fonction dans l’entreprise.
- L’obligation de conserver le secret peut également provenir d’une clause contractuelle qui va obliger le salarié à garder confidentielles les informations qu’il a à connaître au cours de l’exécution de ses missions, et qui va s’ajouter à son obligation générale de discrétion. Il s’agit de clauses contractuelles de confidentialité et de non concurrence insérées au contrat de travail.
- Une charte de confidentialité peut être également utilisée par les entreprises innovantes. Cette charte vise à informer les salariés de l’entreprise, mais aussi les personnes amenées à accéder au secret, de l’enjeu lié à la confidentialité des informations de l’entreprise, tant sur le plan juridique, et notamment de la propriété intellectuelle, que sur le plan économique.
Le rôle de cette charte est ainsi avant tout un rôle d’information, d’éducation et de recherche d’adhésion autour de valeurs communes. Elle doit, en outre, décrire les règles que les salariés doivent respecter dans le traitement des données et des informations sensibles, quelle que soient leurs formes : document papier, électronique ou encore informations orales. Il est également nécessaire de bien définir les informations dites « confidentielles » et celles dites « très confidentielles » afin de prévenir toute méprise ou incompréhension de la part des salariés.
(ii) Le cas des cocontractants de l’entreprise :
- Les informations échangées lors des pourparlers vont pouvoir être protégées au travers de clauses insérées dans un projet précontractuel. C’est dès l’origine de ces pourparlers que ces questions devront être abordées entre les parties, à l’aide, par exemple, d’une lettre d’intention contenant un engagement de confidentialité qui conférera une protection spécifique aux informations échangées.
Plusieurs méthodes peuvent être employées afin de déterminer les informations soumises à une obligation de confidentialité. La première consiste à protéger d’une manière exhaustive l’ensemble des informations qui vont être échangées au cours des pourparlers. Cela nécessite une définition et une entente très large de ce qui va être concerné par la confidentialité. Une seconde méthode pouvant être envisagée est celle qui va déterminer spécifiquement les informations à garder secrètes.
- Pour plus de sécurité une clause peut prévoir que l’entreprise tierce demande une autorisation préalable, écrite ou orale, à l’entreprise détentrice du secret avant toute communication à son personnel ou à ses collaborateurs occasionnels. Cela trouve aussi à s’appliquer en cas de recours à une entreprise de sous-traitance.
- Un autre mécanisme est également à envisager : la possibilité pour le tiers de verser une caution à l’entreprise détentrice de l’information confidentielle. En cas de conclusion du contrat, elle pourrait être déduite des sommes à régler. Si le contrat ne se réalisait pas, elle pourrait être gardée par l’entreprise en attendant que la clause de confidentialité expire.
- Si les pourparlers aboutissent, le contrat devra prévoir des clauses de confidentialité, qui pourront perdurer après l’extinction du contrat, obligeant la personne recevant les informations confidentielles à ne pas les révéler ni à les utiliser. Le destinataire de ces éléments devra à son tour informer tous les membres de son personnel de leur caractère secret, et leur interdira toute divulgation, même partielle. Pour ce faire, elle prendra toutes les mesures nécessaires (cf. i).
Si, malgré l’implémentation de ces mesures, la protection de l’information confidentielle est compromise, il sera nécessaire de saisir les juridictions pour y remédier.
III – L’instauration d’un cadre procédural permettant de prévenir, faire cesser et/ou réparer une atteinte au secret des affaires
L’article L. 152-1 du Code de commerce prévoit désormais que « toute atteinte au secret des affaires […] engage la responsabilité civile de son auteur ». Pour ce faire, les mesures ci-après ont été instaurées :
– mesures pour prévenir et faire cesser une atteinte au secret des affaires : l’article L. 152-3 prévoit désormais la possibilité pour le juge de prescrire, y compris sous astreinte et sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte. A ce titre, le juge pourra notamment interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires, ordonner la destruction totale ou partielle de tout élément contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit, ordonner le rappel des produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret, etc.
A noter néanmoins que la loi offre la possibilité au juge, à la demande de l’auteur de l’atteinte, d’ordonner le versement d’une indemnité à la partie lésée au lieu des mesures ci-dessus évoquées. Cette indemnité ne peut être fixée à une somme supérieure au montant des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser ledit secret des affaires pour la période pendant laquelle l’utilisation du secret des affaires aurait pu être interdit
– mesures pour réparer une atteinte au secret : le juge peut également ordonner le paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice effectivement subi, en prenant en compte (i) les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance, (ii) le préjudice moral causé à la partie lésée et (iii) les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte.
– mesures de publicité : l’article L. 152-7 du Code de commerce prévoit la possibilité pour le juge d’ordonner toute mesure de publicité de la décision.
– sanctions en cas de procédure dilatoire ou abusive : toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive sur le fondement du secret des affaires peut être condamnée au paiement d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence de demande de dommages et intérêts, le montant de l’amende civile ne peut excéder 60 000 €.
L’amende civile peut être prononcée sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts à la partie victime de la procédure dilatoire ou abusive.
Les actions relatives à une atteinte au secret des affaires sont prescrites par cinq ans à compter des faits qui en sont la cause, et non à compter de la connaissance des faits comme en droit commun.
IV- La protection du secret des affaires pendant le procès
L’article L. 153-1 du Code de commerce prévoit désormais que lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense
– prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;
– décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;
– décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;
– adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.
Ce dispositif est complété par une obligation de confidentialité interdisant toute utilisation ou divulgation des informations couvertes par le secret des affaires par les parties autorisées à y avoir accès.