13 novembre 2017
Réforme du Droit des Contrats – Adoption du Projet de Loi de Ratification par le Sénat « Une Réforme de la Réforme »
L’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, est entrée en vigueur le 1er octobre 2016. Plus d’un an après, elle restait dans l’attente de sa ratification.
C’est finalement le 9 juin dernier que le Gouvernement a présenté le projet de Loi de ratification au Sénat. Celui-ci a alors procédé à une consultation de la doctrine et des praticiens afin d’apporter à la réforme la clarté, la cohérence et la lisibilité qui lui manquait en corrigeant notamment les malfaçons et les imperfections objectives. Adopté le 17 octobre en première lecture, le projet de Loi voté par le Sénat vient ainsi « réformer la réforme ».
Nous vous présentons ci-après quelques-unes des modifications envisagées.
1. La re-définition du contrat d’adhésion – articles 1110 et 1171 du Code civil
L’Ordonnance a consacré la notion de contrat d’adhésion (en opposition au contrat de gré à gré) en le définissant comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».
Cette définition, sujette à controverse lors de son entrée en vigueur, s’est avérée insuffisamment distinctive, ouvrant la possibilité de qualifier de contrat d’adhésion des contrats conclus sans négociation alors qu’ils auraient pu l’être et faussant en conséquence le champ d’application de l’article 1171 du Code civil portant sur les clauses abusives dans les contrats d’adhésion.
Le Sénat est venu préciser dans son projet le concept de contrat d’adhésion en caractérisant, comme base de distinction, le critère de négociabilité (le contrat d’adhésion est « celui qui comporte des clauses non négociables »), et non plus celui de libre négociation.
En outre, les sénateurs ont indiqué, dans leurs travaux, que l’article 1171 du Code civil ne s’appliquerait pas aux contrats d’adhésion d’ores et déjà visés par des dispositions du Code de la consommation, savoir tous les contrats conclus entre un professionnel et un particulier.
Seraient ainsi uniquement concernés les contrats entre particuliers ou par des professionnels libéraux.
2. La représentation d’une partie au contrat – révision de l’article 1161 du Code civil
L’Ordonnance a introduit, un mécanisme de gestion des conflits d’intérêts en matière de représentation.
Celui-ci sanctionne par la nullité les actes conclus par une personne représentant plusieurs parties à un même contrat ou contractant pour son propre compte avec une partie qu’elle représente, à défaut d’autorisation préalable ou de ratification a posteriori du représenté.
L’articulation de cette nouvelle disposition avec le droit des sociétés, notamment en matière de représentation des personnes morales, a entrainé de nombreuses interrogations parmi les praticiens.
En effet, particulièrement au sein des groupes de sociétés, il est d’usage courant que les personnes morales, agissant par le biais de leur représentant, concluent des actes avec des sociétés ayant le même représentant légal ou bien avec le dirigeant lui-même (ex : location de bureaux avec une société civile immobilière ayant le même dirigeant).
La conclusion de ces conventions est d’ores et déjà régie par le régime des conventions règlementées du Code de commerce, qui met en place un contrôle des conflits d’intérêt.
Aussi, le nouveau mécanisme instauré par l’Ordonnance entraîne, d’une part, une procédure lourde dans le cadre du fonctionnement courant des sociétés et, d’autre part, un doublon avec le régime des conventions réglementées.
Au vu de ces incohérences, le Sénat propose, dans le projet adopté, de limiter l’application de cette disposition aux seules personnes physiques et dans le cadre de la représentation de plusieurs parties en opposition d’intérêts.
Cette modification permettrait ainsi d’éviter toute interférence avec les règles de représentation des sociétés.
3. Suppression du pouvoir de révision du juge en cas d’imprévision d’un contrat – article 1195 du Code civil
L’une des grandes innovations de la réforme du droit des contrats réside dans la création d’un pouvoir de révision des contrats par le juge.
Ainsi, « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ».
En cas de refus ou d’échec de celle-ci, les parties peuvent alors convenir de la résolution du contrat ou bien demander au juge son adaptation. À défaut d’accord, l’une des parties peut demander au juge de « réviser le contrat ou [d’]y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Ce pouvoir de révision du juge, venant à l’encontre des principes de la force obligatoire du contrat et de liberté contractuelle, et portant atteinte à la sécurité juridique, a suscité de nombreuses réactions et oppositions.
Les sénateurs, prenant acte de ces difficultés, ont pris la décision de supprimer ce pouvoir de révision du juge, en conservant uniquement sa capacité de mettre fin au contrat.
4. Condition stipulée à son profit exclusif – article 1304-4 du Code civil
Une disposition intégrée par l’Ordonnance relative aux conditions stipulées au profit exclusif d’une partie a entrainé de nombreuses interrogations quant à sa pertinence et son applicabilité.
En effet, la réforme prévoit qu’une partie n’est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif que tant que celle-ci n’est pas accomplie. Il serait ainsi impossible de renoncer à une condition suspensive postérieurement à sa réalisation.
La volonté du législateur semblait être d’empêcher toute renonciation unilatérale, et ce afin de promouvoir la volonté de toutes les parties de conclure ou non un acte selon qu’une condition soit réalisée ou non.
Le Sénat vient revoir et préciser cette disposition : la renonciation d’une partie à une condition stipulée dans son intérêt exclusif ne pourrait intervenir que « tant que celle-ci n’est pas accomplie ou n’a pas défaillie ».
C’est ainsi l’accord des parties, en écartant la possibilité de renoncer de manière unilatérale, qui serait consacré. Cet article n’étant pas d’ordre public, il resterait toujours possible pour les parties d’y renoncer.
5. Application dans le temps
La réforme du droit des contrats est entrée en vigueur au 1er octobre 2016, l’Ordonnance précisant que tous les contrats passés avant cette date relèvent de la loi ancienne.
Afin de stopper le mouvement de la Cour de cassation ayant admis l’application de l’Ordonnance quant aux effets légaux des contrats conclus avant le 1er octobre 2016, ainsi que pour les dispositions d’ordre public, le Sénat vient spécifier que la réforme est entrée en vigueur au 1er octobre 2016, « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ».
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En conclusion, la proposition de Loi de ratification adoptée par le Sénat vient clarifier et corriger certaines malfaçons de la réforme, répondant ainsi aux attentes de l’ensemble de la communauté du droit.
Précisons que le chemin avant sa promulgation est loin d’être terminé. Actuellement en cours d’étude à l’Assemblée Nationale, le mouvement de « réforme de la réforme » peut encore faire évoluer le régime du droit des contrats.