7 juin 2019
Réforme du droit de la rupture brutale des relations commerciales établies : plafonnement du préavis à 18 mois ?
La loi EGAlim (Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) adoptée le 2 octobre 2018, prévoyait, comme nous vous l’avions annoncé, de « simplifier et préciser les définitions des pratiques mentionnées à l’article L. 442-6, en ce qui concerne notamment la rupture brutale des relations commerciales […] » (cf. article de blog du 10 décembre 2018).
C’est chose faite.
L’ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, en vigueur depuis le 26 avril dernier, est venue plafonner le préavis susceptible d’être alloué à la victime d’une rupture brutale de relations commerciales établies.
L’article L. 442-6. I, 5° du code de commerce est ainsi abandonné au profit d’un article L. 442-1. II, aux termes duquel :
« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
« En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. […] »
Désormais, l’auteur d’une résiliation qui a respecté un préavis de 18 mois, ne peut donc voir sa responsabilité recherchée sur le terrain de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Se posent toutefois plusieurs questions :
– Un partenaire qui rompt une relation commerciale établie, sans respecter le moindre préavis, pourra-t-il être condamné à compenser une perte de marge sur plus de 18 mois ? A priori non. Toutefois, ni l’ordonnance, ni le Rapport au Président de la République qui l’accompagne ne l’affirme explicitement. Les juridictions trancheront.
– Dès lors qu’un partenaire a respecté un préavis de 18 mois, pour une relation commerciale particulièrement longue et marquée par une situation de dépendance économique avérée, la victime de la rupture qui tenterait de saisir un tribunal se verra-t-elle opposer une fin de non-recevoir ? A priori oui.
– Les parties peuvent-elles convenir d’un préavis supérieur à 18 mois ? Dans la mesure où il s’agirait de l’expression de la volonté des parties, nous considérons que cette stipulation contractuelle est possible et qu’elle devrait trouver à s’appliquer. Il s’agit toutefois d’un cas rare en pratique.
– Quid des affaires en cours dans lesquelles un préavis de plus de 18 mois est sollicité ? L’ordonnance étant entrée en vigueur le 26 avril 2019, elle n’a pas vocation à s’appliquer à des ruptures antérieures à cette date. Il n’est cependant pas exclu que les juridictions soient influencées par la mise en place de ce plafonnement.
La réforme abandonne, en outre, le principe du doublement de la durée du préavis pour les relations portant sur des produits vendus sous marque de distributeur (MDD). Le doublement légal du préavis conduisait en effet à l’allocation de durées de préavis particulièrement longues.
Nous conseillons toutefois aux distributeurs de produits MDD d’être particulièrement vigilants avec leurs fournisseurs, dans la mesure où cette circonstance est de nature à allonger le préavis, dans la limite désormais de 18 mois.
Cette réforme vise à libéraliser le droit des ruptures brutales des relations commerciales, au motif que le risque d’être condamné à payer des dommages et intérêts correspondant à un préavis long, serait un frein à la compétitivité des entreprises françaises.
Le Ministère de l’économie et des finances ne s’en cache pas, il s’agit selon lui d’une mesure d’« efficience économique », « régulation du contentieux et de réalisme économique », visant à mettre un frein à un texte qui a connu « une grande expansion (plus de trois cents jugements au fond par an) [et] qui fait l’objet de critiques. » (Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019).
Difficile de ne pas y voir une n-ième mesure visant à désengorger les juridictions françaises…
Si le Gouvernement n’est pas allé jusqu’à mettre en place des barèmes (comme il a pu le faire dans d’autres matières), il limite une fois de plus le pouvoir des juges, au détriment des sociétés se trouvant dans des situations spécifiques qui auraient justifié un préavis plus long.
La Cour d’appel de Paris encadre cependant d’ores-et-déjà de manière stricte la jurisprudence relative à l’application de l’article L. 442-6 I 5° relatif à la rupture brutale des relations commerciales établies.
Au surplus, rien ne démontre à ce stade, que le nombre de contentieux va diminuer du fait de la réforme.
On en veut pour preuve le nombre de questions qui restent à ce jour en suspens.
Le débat judiciaire, s’il est impacté, n’en est pour autant pas supprimé.
A suivre donc…