12 mai 2020
SANCTION DE L’AMF A L’ENCONTRE DU FONDS ACTIVISTE ELLIOTT : EXEMPLAIRE OU POUR L’EXEMPLE ?
Le 17 avril 2020, l’AMF a infligé des sanctions pécuniaires de 20 millions d’euros à l’encontre du fonds activiste[1] Elliot[2]. La Commission des sanctions de l’AMF a en effet estimé inexactes et tardives les déclarations faites dans le cadre de la prise de participation du fonds au capital du transporteur lyonnais Norbert Dentressangle SA.
Elliott figure parmi les plus puissants fonds activistes, avec près de 40 milliards de dollars d’actifs gérés et, depuis quelques années, une présence remarquée en France, qu’il s’agisse de son entrée au capital de Pernod-Ricard en 2018 ou de sa tentative récente de bloquer l’OPA de Capgemini sur Altran, dont il jugeait le prix insuffisant, avant de finalement céder en apportant ses titres.
En l’espèce, le 28 avril 2015, la société américaine XPO Logistics Inc. a annoncé faire l’acquisition de 66,71% du capital de la société cotée Norbert Dentressangle SA (NDSA) et lancer une offre publique d’achat simplifiée (OPAS) portant sur les actions restantes, au prix de 217,50 euros par action.
L’objectif était de parvenir à contrôler plus de 95% du capital à l’issue de l’OPAS et ainsi procéder à un retrait obligatoire de NDSA du marché, contraignant les derniers actionnaires à céder leurs actions, puis à son intégration fiscale.
Parallèlement, entre le 8 mai et le 21 juillet 2015, le Fonds Elliott a acquis des actions et des instruments dérivés portant sur les titres NDSA, donnant lieu à plusieurs déclarations auprès de l’AMF.
Le 18 mai 2015, le Fonds Elliott a déclaré avoir l’intention de « poursuivre [ses] acquisitions d’actions Norbert Dentressangle et/ou d’instruments dérivés relatifs aux actions Norbert Dentressangle en fonction des conditions de marché » et, le 24 juin 2015, a indiqué avoir franchi à la hausse le seuil de 5% du capital et détenir des CFD[3] à dénouement en espèces.
Ce faisant, le Fonds Elliott a bloqué le retrait obligatoire de NDSA initialement envisagé par XPO.
Aux termes d’un accord du 22 novembre 2019, cette-dernière a finalement racheté les actions détenues par le Fonds Elliott, représentant 9% du capital de NDSA, au prix de 260 euros par actions, soit une plus-value que l’AMF évalue à environ 38 millions d’euros.
Si cette cession n’a rien d’irrégulière, l’AMF a en revanche reproché au Fonds Elliott d’avoir :
-produit des déclarations inexactes, les 18 mai et 24 juin 2015, quant à la nature des instruments financiers dérivés à dénouement en numéraire acquis, en indiquant qu’il s’agissait de CFD alors que, selon l’AMF, il s’agissait en réalité d’equity swaps[4] ;
-déclaré de façon tardive, le 10 juillet 2015, son intention de ne pas apporter ses titres NDSA à l’OPAS déposée par XPO le 11 juin 2015.
S’agissant du premier grief, le Fonds Elliott soutenait que les deux instruments – qui visent à prendre une exposition économique sur un titre sans en acquérir la propriété – sont équivalents, de sorte qu’ils pouvaient être indistinctement déclarés en application de l’article L.233-9 du Code de commerce.
Selon la Commission des sanctions, la déclaration doit au contraire préciser « la nature de l’instrument dérivé acquis et notamment s’il s’agit d’un CFD ou d’un equity swap ».
Ainsi l’AMF a estimé que les instruments dérivés litigieux auraient dû être qualifiés par le Fonds Elliott d’equity swaps et non de CFD, dès lors « qu’ils prévoyaient un échange de flux financiers entre les Fonds Elliott et leur contrepartie, ont été conclus en application de l’ISDA Master Agreement[5], ont une date d’expiration contractuellement prévue et font l’objet de paiements intermédiaires à échéances fixes ».
Contrairement au CFD, les equity swaps ont une date d’expiration fixée, le premier grief est donc caractérisé.
S’agissant du second grief, la Commission a considéré que l’obligation de déclarer son intention pour toute personne qui vient à détenir au moins 2% du capital de la cible d’une offre publique ou qui accroit sa participation si elle détient plus de 5% (article 231-47 du règlement général AMF), est également applicable aux equity swaps litigieux.
A première vue cette motivation peut laisser perplexe dès lors que celui qui détient des equity swaps, ne détient pas, au moins jusqu’à leur dénouement, l’action sur laquelle ils portent.
Elle résulte cependant d’une application stricte de l’article 231-44 du règlement général AMF, qui dispose que « les fractions de 1 %, 2 % et 5 % visées dans la présente section [relative aux offres publiques] sont déterminées conformément aux modalités d’assimilation prévues à l’article L.233-9 du code de commerce ».
Et l’article L.233-9 4° bis édicte que sont assimilés aux actions celles « déjà émises sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier mentionné à l’article L.211-1 du code monétaire et financier réglé en espèces et ayant pour cette personne ou l’une des personnes mentionnées aux 1° et 3° un effet économique similaire à la possession desdites actions ».
Posséder des equity swaps revient, en son effet économique, à posséder des actions ce qui, dès lors, contraint à la transparence. C’est cela qu’a voulu rappeler la Commission des sanctions : les obligations déclaratives ne peuvent pas être contournées par le recours à d’autres instruments financiers que les actions.
En l’espèce, dès le 14 mai 2015, le Fonds Elliott avait franchi les 2% du capital de NDSA, « par assimilation » des equity swaps détenus à des actions, avant de franchir le seuil de 5%, toujours pas assimilation, le 18 juin 2015.
Par conséquent, la déclaration d’intention, effectuée le 10 juillet 2015, de ne pas apporter les actions acquises à l’offre de XPO, est jugée tardive par la Commission, qui relève qu’elle aurait dû être faite « immédiatement », comme l’exige l’article 231-47 du règlement général de l’AMF.
Le deuxième grief est donc également caractérisé.
Un troisième grief, d’entrave à l’enquête conduite par l’AMF, est retenu à l’encontre de la seule société Elliott Advisors UK Limited.
Ces trois manquements ont entrainé le prononcé par la Commission d’une sanction pécuniaire de 15 millions d’euros à l’encontre de Elliott Advisors UK Limited et de 5 millions d’euros à l’encontre Elliott Capital Advisors L.P.
La sanction parait sévère.
En effet, si la Commission souligne que le Fonds Elliott, par ses déclarations inexactes et tardives, a cherché à dissimuler au marché sa volonté de « prise de participation à hauteur de 5% du capital de NDSA afin de bloquer le retrait obligatoire envisagé par XPO », afin de négocier auprès de celle-ci une « revalorisation du prix de l’offre », elle concède qu’il n’est pas établi que ces manquements aient « effectivement trompé les acteurs du marché ni conduit certains d’entre eux à modifier leur stratégie ».
Pour la Commission, cette circonstance est cependant indifférente, dès lors qu’il suffit que la dissimulation ait été « de nature » à tromper les investisseurs sur les réelles intentions du Fonds Elliott, portant ainsi atteinte à la transparence du marché et revêtant, par conséquent, une « particulière gravité ».
C’est donc un manquement purement formel qui a été sanctionné, sans effet, à tout le moins caractérisé, sur le bon fonctionnement du marché.
D’évidence, la Commission a sans doute souhaité, comme l’avait requis le collège de l’AMF le 7 février dernier, prononcé une « sanction exemplaire dont le montant sera dissuasif ».
Si l’on peut regretter cette instrumentalisation, force est cependant de constater que la décision s’inscrit parfaitement dans le contexte actuel d’une vigilance accrue sur l’activisme actionnarial.
Après quatre rapports publiés ces derniers mois sur ce sujet, par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le Club des juristes, l’Afep et Paris Europlace, l’AMF a publié sa contribution au débat…six jours après la sanction prononcée à l’encontre du Fonds Elliott.
Pour l’AMF, « la problématique n’est pas d’empêcher l’activisme mais d’en fixer les limites et de se donner la capacité à en maîtriser les excès ».
Cette affirmation est bienvenue, dès lors en effet que tout actionnaire, activiste ou non, a le droit le plus légitime de tenter d’influer sur la stratégie de la société dont il détient une partie du capital, ce droit étant le corolaire du risque que constitue sa participation.
Il est même des situations dans lesquelles la présence au capital d’un actionnaire « actif » apporte une expérience et une expertise pertinentes d’un point de vue opérationnel, créatrices de valeur et assurant de la sorte la satisfaction de tous les actionnaires.
L’AMF a ici voulu sanctionner une méthode, toute stratégie d’investissement devant être menée « sabre au clair ». La recherche du profit ne peut pas se faire « à tout prix », dès lors que ce prix fait courir un risque pour la transparence et la stabilité du marché, ce quand bien même, in fine, les autres investisseurs ne s’en trouveraient pas affectés.
Si l’on en comprend le principe idéaliste, celui-ci, qu’on se le dise, ressemble inexorablement à une « inaccessible étoile », une quête dont le seul dessein est atteint dès son énoncé : tenter vainement de rassurer des épargnants, des petits actionnaires…qui toutefois ne sont peut-être pas aussi naïfs que l’on veut bien s’en persuader, préférant jeter un voile pudique sur une vérité que l’on sait, pourtant de longue date, révélée.
Mais pour les autres, faut-il encore les entretenir dans une illusion ? Quel fonds mènera des opérations au péril potentiel de ses intérêts ? Devoir s’acquitter de 20 millions d’euros, est-ce réellement dissuasif quand on pèse 40 milliards ? Et surtout n’y-a-t-il pas encore bien d’autres moyens pour parvenir aux mêmes fins qu’Elliot, c’est-à-dire remplir avec succès son objectif de croissance, de création de valeur, de richesse, sans même prendre le risque d’une telle sanction ?
[1] L’activisme consistant à entrer au capital d’une société afin d’influer sur sa stratégie et réaliser des plus-values.
[2] 15 millions à l’encontre de Elliott Advisors UK Limited et 5 millions à l’encontre de Elliott Capital Advisors L.P.
[3] Contract For Difference : produit non coté en Bourse, émis par un courtier, permettant de miser sur la différence entre le prix d’un sous-jacent (action, indice, matière première…) au moment de sa souscription et sa valeur à une date ultérieure. Les CFD n’ont pas de date d’expiration.
[4] Contrat d’échange qui peut se dénouer en espèces ou en actions, le dénouement en actions pouvant être fixé dès le début du contrat ou au cours de son exécution.
[5] Contrat cadre entre deux contreparties qui négocient entre eux des transactions sur instruments dérivés de gré à gré. Ce contrat a été créé et proposé par l’International Swaps and Derivatives Association.