17 janvier 2018
Transmettre ses actions par blockchain en toute légalité
La blockchain peut être représentée comme un registre de données électroniques compilées et conservées par un ensemble d’utilisateurs. Elle permet d’horodater et de conserver des informations qui, lorsqu’elles atteignent un certain volume, sont regroupées dans un bloc certifié, infalsifiable, immuable et universel. Chaque bloc est à son tour enchainé à d’autres blocs. La transaction est alors visible pour le récepteur (ainsi que par l’ensemble du réseau ou par un nombre limité d’acteur si la blockchain est privée).
Les exemples d’applications de la blockchain sont légion.
Le plus médiatisé est évidemment le bitcoin, une monnaie numérique fonctionnant exclusivement sur la base d’algorithmes.
Si celui-ci est souvent décrié au vu de ses fluctuations indécentes et de l’utilisation malveillante qui peut en être fait[i], les déclinaisons pratiques de la blockchain sont nombreuses, notamment dans le domaine de la protection des droits de propriété.
Plusieurs projets tendent ainsi à créer des cadastres numériques permettant aux propriétaires d’arpenter leurs terres via GPS et d’enregistrer leurs actes fonciers sur une blockchain (entre autres, Bitfury en Géorgie, Bitland au Ghana ou Epigraph au Honduras).
Dans le domaine artistique, la SACEM (Société des Auteurs Compositeurs et Éditeurs de Musique), en collaboration avec ses homologues anglais et américain, développe quant à elle un modèle de gestion partagée des informations relatives aux droits d’auteur.
Si les exemples ci-dessus peuvent évidemment être étendus à la vie des entreprises (gestion de la supply chain, lutte contre la contrefaçon, suivi des contrats, etc.), la blockchain vient de trouver une place de choix dans l’ordre juridique régissant le secteur de la finance en France.
En effet, par ordonnance du 8 décembre 2017 (ci-après l’« Ordonnance »), la France est devenue le premier pays européen à légaliser le transfert de propriété de titres financiers par blockchain : l’émission comme la cession de titres financiers non cotés peuvent désormais être inscrits dans une blockchain[ii], cette inscription offrant les mêmes effets qu’une inscription en compte classique.
L’Ordonnance ne se limite pas à officialiser la possibilité de transférer la propriété de titres au moyen d’un simple enregistrement d’un code dans une base de données. Elle définit le nouveau cadre juridique dans lequel cette technologie, bien moins coûteuse et fastidieuse que les modes actuels de gestion des titres, pourra être utilisée.
Les conditions précises de fonctionnement ne seront fixées qu’à l’occasion d’un décret d’application à venir au plus tard le 1er juillet 2018, de telle sorte qu’à court terme, la blockchain sera principalement utilisée, en matière de transfert de titres, comme complément aux méthodes habituelles d’inscription en compte (par exemple, comme outil de réconciliation entre compte-titres).
Une première transaction semble avoir été opérée le 11 janvier 2018 grâce à cette technologie : Macif et Matmut auraient procédé à l’achat et la vente de parts d’organismes de placement collectif gérés par OFI Asset Management, ce grâce à la plateforme IZNES (et avec l’aide notable de Société Générale Securities Services et CACEIS agissant respectivement comme dépositaire des parts et teneur de compte-conservateur des investisseurs concernés)[iii].
Si cette transaction illustre les ambitions françaises en matière d’innovation financière, voire de finance digitale, gageons tout de même qu’elle ne connaitra pas la même notoriété que celle réalisée en 2010 avec les premiers bitcoins[iv]…
[i] En mai 2017, par exemple, Ross Ulbricht, fondateur d’un célèbre ‘supermarché en ligne du crime’, a été condamné à une peine d’emprisonnement à vie pour avoir permis, en qualité de fiduciaire, l’achat (et le paiement en bitcoins) de stupéfiants, faux papiers, armes etc (United States of America v. Ulbricht, May 31, 2017 : http://pdfserver.amlaw.com/nlj/ULBRICHT-ca2-20170531.pdf
[ii] L’intitulé exact utilisé dans l’ordonnance est « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (DEEP)
[iii] www.iznes.io/img/cpIznesFr.pdf
[iv] Lazlo Hanyecz, un développeur vivant en Floride, avait tenté sa chance sur un espace de discussion dédié aux utilisateurs de Bitcoin : « Je suis prêt à payer 10.000 bitcoins pour deux pizzas. Ce que je veux, c’est me faire livrer de la nourriture en échange de bitcoins… Un peu comme si je commandais un petit déjeuner dans un hôtel ».
En 2010, un bitcoin se négociait entre 0,003 euros et le vendeur avait donc encaissé environ 15 euros par pizza. Si ce dernier a conservé les bitcoins reçus, il peut aujourd’hui les revendre pour une centaine de millions d’euros ! Cette première transaction a acquis une notoriété telle que le Bitcoin Pizza Day est célébré chaque 22 mai : les utilisateurs de bitcoins sont invités eux aussi à s’offrir une pizza, en souvenir du temps où la blockchain n’en était qu’aux prémices.