16 mai 2018
Les tribulations de la réforme du droit des contrats : suite et fin… ?
Le 21 avril 2018 a été publié au Journal Officiel la Loi de ratification de l’Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Ce texte était vivement attendu par les praticiens, dont certains prônaient une réécriture en profondeur de la réforme alors que d’autres défendaient une ratification a minima portant quelques modifications non substantielles et ne venant pas bouleverser l’équilibre créé en 2016.
Au terme de moultes échanges et de résistances de part et d’autre, entre le Sénat et l’Assemblée Nationale, le Parlement a adopté peu ou prou la version de la Commission mixte paritaire. Le texte se limite in fine à 16 articles relativement succincts.
D’une manière générale, même si chacune des deux chambres a pu apporter sa touche à ce dernier volet de la réforme du droit des contrats, les grands équilibres souhaités par le Gouvernement sont maintenus, dans l’optique de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme, mais également de renforcer la protection de la partie faible et l’exigence de bonne foi.
La Loi de ratification n’aura ainsi pas emporté la fin du régime de l’imprévision créé par l’Ordonnance du 10 février 2016 et la possibilité (tant décriée par le Sénat) offerte aux juges de modifier le contenu du contrat (art. 1195 civ).
Le Sénat a en revanche obtenu que les contrats conclus ou renouvelés avant le 10 février 2016 ne soient pas concernés par la réforme « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ».
Ce faisant, la Loi de ratification tente de contrer la volonté de la Cour de cassation d’appliquer la réforme aux contrats conclus ou renouvelés avant le 1er octobre 2016, notamment dans ses effets légaux et dispositions d’ordre public.
On se souvient de l’arrêt du 17 novembre 2016 (Cass, civ. 3, 17 novembre 2016, n°15-24552) par lequel la Cour s’est prononcée en faveur d’une application immédiate des effets légaux de la Loi Alur.
On s’interrogera toutefois sur l’efficacité de cette disposition, dans la mesure où les juges peuvent justifier une modification de jurisprudence au regard de l’évolution du droit des obligations et qu’il est impossible d’écarter toute prise en compte de ces modifications dans leur appréciation des cas d’espèce qu’ils sont amenés à trancher.
La Loi de ratification distingue entre les modifications qu’elle qualifie elle-même d’interprétatives, qui entrent en vigueur de manière rétroactive au 1er octobre 2016, et celles comportant des modifications de fond, qui sont applicables aux seuls contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er octobre 2018.
(i) Modifications interprétatives
Au titre des modifications dite interprétatives, pour lesquelles la distinction entre « interprétation » et « ajout » est parfois bien subtile, l’on compte notamment :
– Le préjudice réparable en cas de rupture fautive des pourparlers (art 1112 civ) : avant la Loi de ratification, les dommages et intérêts ne pouvaient pas prendre en compte la perte des avantages attendus du contrat non conclu. La Loi de ratification vient désormais préciser qu’il ne peut non plus s’agir de « la perte de chance d’obtenir ces avantages ». Est ainsi inscrite dans la loi la jurisprudence antérieure, ce qui tend à rendre impossible tout revirement de jurisprudence à ce titre et limite ainsi les prérogatives des juges se voulant trop généreux. Pour rappel, seule la réparation du préjudice matériel (des frais engagés) pourra donc être prononcée.
– La violence résultant d’un abus de l’état de dépendance (art 1143 civ) : est également qualifié d’ « interprétation » le fait de limiter l’état de dépendance à celle ressentie « à l’égard » de son cocontractant. Est ainsi exclue la violence du fait d’un tiers ou résultant des conditions intrinsèques (situation financière fragile, âge ou maladie d’une personne). Ceci étant, cette modification demeure mineure alors que le Sénat voulait limiter cet article à la seule violence économique, c’est-à-dire aux rapports entre entreprises. Cela aurait été profondément contraire à l’esprit de la réforme initiale (cf. Rapport au Président relatif à l’Ordonnance du 10 février 2016, sous-section 1 – Paragraphe 2).
Il s’agit là d’une victoire de l’Assemblée Nationale qui souhaitait conserver une définition protéiforme de la violence (économique, psychologique, technologique, etc.).
– L’abus dans la fixation du prix dans les contrats de prestation de service (art 1165 civ) : le texte vient préciser que le juge peut, en sus d’allouer des dommages et intérêts, prononcer la résolution du contrat. Cette modification n’a rien de fondamental, dans la mesure où, en vertu du principe « dispositif », les parties ont la maitrise de la matière litigieuse, de sorte qu’il aurait été peu probable de faire obstacle à ce qu’une d’entre elles demande en justice la résolution d’un contrat. Elle est toutefois la bienvenue dans la mesure où elle vise les contrats à exécution successive, qui n’avaient semble-t-il pas été pris en compte par le rédacteur initial.
– L’exécution forcée en nature demeure le principe et est renforcée (art 1221 civ). Il n’est possible de s’y soustraire qu’à condition de démontrer qu’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier et dans la mesure où le débiteur est de « bonne foi ». A la simple appréciation du ratio coût/avantage est ainsi désormais ajoutée une condition relative à la bonne foi du débiteur. Si la bonne foi irrigue la réforme dans son ensemble et aurait pu être prise en compte par le juge par un autre biais (art. 1104 notamment), cette modification ajoute selon nous une condition pour échapper à l’exécution forcée en nature.
Cette liste n’a bien entendu pas vocation à être exhaustive. Plusieurs autres modifications dites « interprétatives » figurent dans le texte, qu’il s’agisse de modifications mineures de forme ou de modifications relevant du régime des obligations.
(ii) Modifications de fond
S’agissant des modifications de fond, qui seront applicables aux seuls contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er octobre 2018, nous avons relevé :
– La modification de la définition du contrat d’adhésion (art. 1110 civ) : est abandonnée la notion de « conditions générales », qui était source d’insécurité juridique, au profit d’un critère de négociabilité souhaité par le Sénat. Le contrat d’adhésion est désormais celui qui comporte « un ensemble de clauses non négociables déterminées à l’avance par l’une des parties ». Pour se prévaloir de ce texte et de son corolaire, à savoir, de la législation sur les clauses abusives, il conviendra d’établir qu’il a été impossible de négocier certaines clauses du contrat.
A ce titre, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 28 février 2018 (CA Paris, 5, 4, 28 février 2018, n°16/16802), a précisé que l’absence de négociabilité suppose de démontrer avoir « tenté, vainement, d’obtenir la suppression ou la modification des clauses litigieuses dans le cadre de négociations ou qu’aucune suite n’a été donnée aux réserves ou avenants proposés » ou encore avoir été placé dans l’« obligation de contracter, ne laissant aucune alternative à la personne soumise ». Cette appréciation, relativement restrictive, pourra être utilisée, en fonction de la position dans laquelle on se trouve dans le contentieux.
Au surplus, l’abandon de la notion de « conditions générales » écarte la possibilité pour la jurisprudence de retenir un critère purement formel à savoir de limiter ce texte aux seuls contrats-type comportant des CGV distinctes.
L’impératif de se ménager la preuve de la réalité des négociations en ressort renforcé.
– L’article 1171 relatif aux clauses abusives est également modifié : le législateur s’est cru devoir préciser que « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable déterminée à l’avance par l’une des parties » qui crée un déséquilibre significatif est réputée non écrite. Il en résulte que l’impossibilité de négocier devra être prouvée, au stade de la qualification du contrat, et de nouveau au stade de l’appréciation de la clause abusive… une lourdeur dont les contentieux auraient bien fait l’économie.
A noter également que la Loi de ratification ne comporte aucune exclusion expresse du cumul entre les différents régimes relatifs aux clauses abusives (droit de la consommation, droit des relations commerciales – L. 442.6 com, droit commun). Si le rapport du Sénat relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 posait ce principe, l’absence d’exclusion formelle dans la loi pourrait permettre aux juridictions de cumuler ces dispositions.
– La caducité de l’offre (art. 1117 civ) : La réforme initiale a prévu que l’offre est caduque notamment en cas de décès de son auteur. La Loi de ratification ajoute que c’est également le cas en cas de décès de son destinataire. Cette modification a le bénéfice de récréer de la symétrie et de la logique dans cet ensemble législatif.
– La réticence dolosive (art. 1137 civ) : là encore, le législateur aligne le régime du dol sur celui de l’obligation d’information prévue à l’article 1112-1 du code civil en ajoutant que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ». Il s’agit de préserver la possibilité de faire des affaires, de rassurer les milieux économiques, et d’entériner dans la loi la jurisprudence antérieure (Arrêt Baldus, Cass, civ. 1, 3 mai 2000, n°98-11381).
– Capacité des personnes morales et règles relatives aux conflits d’intérêts (art. 1145 et 1161 civ) : les praticiens du droit des sociétés se voient rassurés par l’entrée en vigueur de la loi de ratification, puisqu’à compter du 1er octobre 2018, la question de la capacité des personnes morales sera exclue du code civil. Le texte dispose désormais que « la capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles » et renvoie en cela au droit spécial des sociétés.
S’agissant de la législation relative aux conflits d’intérêts, celle-ci ne s’appliquera « qu’en matière de représentation des personnes physiques » et n’aura donc pas d’incidence sur les groupes de sociétés. Les praticiens avaient en effet relevé la difficulté à mettre en œuvre ce texte en présence de plusieurs sociétés pouvant être représentées par les mêmes personnes physiques.
Ces deux modifications ont l’avantage de venir renforcer la sécurité juridique.
Reste la question du régime transitoire. La prudence nous contraint d’appliquer scrupuleusement la réforme jusqu’au 1er octobre prochain. Ceci étant, il est peu probable que ce régime transitoire trouve application devant les juridictions, compte-tenu de ce retour au statut antérieur.
– La réduction unilatérale du prix (art 1223 civ) : on se demandera ce qu’il reste de la réduction unilatérale du prix à la lecture de la Loi de ratification. Il ne s’agit plus d’une véritable faculté de notifier une réduction du prix à son cocontractant mais uniquement de lui proposer une diminution du prix, à charge pour ce dernier de l’accepter par écrit. Ce texte semble donc n’être désormais qu’une simple invitation à trouver un accord amiable en cas de difficulté dans le cadre de l’exécution du contrat.
Il en ressort une arme moins efficace, certes, mais également moins dangereuse, dans la mesure où cette disposition donnait à l’une des parties un pouvoir très important. Nous considérions d’ailleurs dans la majorité des cas qu’il était opportun de l’écarter.
Comme pour les évolutions « interprétatives », ces modifications « de fond » ne sont pas exhaustives.
Au regard de ce texte relativement succinct, il apparait que bien des questions évoquées lors des matinales des 1er décembre 2016 et 2 février 2018 à notre cabinet demeurent en suspens. Il appartiendra à la jurisprudence d’y répondre et d’écrire en cela la suite de l’Histoire du droit des contrats.