10 décembre 2018
Vers une refonte du régime de la rupture brutale des relations commerciales établies au premier semestre 2019 ?
La Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « EGAlim », adoptée le 2 octobre dernier par le législateur et publiée le 30 octobre, après une censure partielle du Conseil constitutionnel, comporte autant de dispositions et d’éléments divers que son titre peut le laisser présager.
Outre un volet « Alimentation » comprenant de nombreux articles visant à lutter contre le gaspillage alimentaire, à introduire davantage de produits locaux, fermier et/ou bio dans la restauration collective, à interdire le recours aux plastiques à usage unique, ou encore favoriser la transparence et l’information des consommateurs, la loi EGAlim comprend un volet « Relations commerciales » tout aussi dense.
Plusieurs dispositions du code rural et du code de commerce ont été modifiées, dans le but notamment d’encadrer plus strictement les contrats de vente des produits agricoles, de favoriser la renégociation des prix, et d’une manière générale, de tenter, tant bien que mal, de rééquilibrer les relations au profit du producteur et des organisations de producteurs.
Comme à son habitude, le législateur actuel transfère la plume à l’exécutif pour adopter différentes mesures par voie d’ordonnance. Celles relatives à la relève du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions, qui devaient être publiées ce mercredi 5 décembre, viennent d’être repoussées, en raison du mouvement des gilets jaunes.
Au sein de cet imbroglio figure un article 17 6° aux termes duquel le gouvernement est autorisé à intervenir par voie d’ordonnance avant le 1er mai 2019 à prendre toutes mesures visant notamment à « simplifier et préciser les définitions des pratiques mentionnées à l’article L. 442-6, en ce qui concerne notamment la rupture brutale des relations commerciales, les voies d’action en justice et les dispositions relatives aux sanctions civiles ».
On sait que le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales établies connaît un succès considérable et donne lieu à un certain engorgement des juridictions, en particulier de la Cour d’appel de Paris, qui bénéficie d’une compétence spécialisée en la matière.
On sait également que, depuis quelques années, la Cour d’appel de Paris tend à systématiser ses raisonnements, à clarifier et unifier les critères de brutalité de la rupture, et à durcir d’une manière générale sa jurisprudence à l’égard de la victime de la rupture brutale, notamment sur la durée de préavis retenu.
Les magistrats des chambres spécialisées de la Cour exigent que la victime de la rupture brutale démontre concrètement, en quoi la durée du préavis sollicité est indispensable pour redéployer son activité et retrouver un cocontractant pour un volume d’activité équivalent. Ils cherchent en cela à éviter des situations d’enrichissement de la victime et manifestement à dissuader les personnes ayant bénéficié d’un préavis « correct » à initier une procédure judiciaire.
Les sociétés éclairées sur cette question l’ont bien compris, de sorte que, lorsqu’elles entendent mettre un terme à une relation commerciale, elles allouent désormais quasi systématiquement un préavis « juste assez long » pour que le gain potentiel d’une procédure demeure inférieur à son coût.
On sait enfin que le gouvernement affectionne la mise en place de « standards », voire de « barèmes » comme cela a pu être le cas en matière d’indemnités prud’homales.
Il est dès lors légitime de s’interroger sur le contenu de cette future ordonnance de nature à « simplifier » le régime de la rupture brutale des relations commerciales établies. Celui-ci pourrait soit contraindre les organisations professionnelles à fixer conventionnellement, en fonction des branches d’activité, des durées minimales à respecter, soit élaborer elle-même une grille.
Certains argueront à plus de sécurité juridique et à davantage de prévisibilité. Et ils n’auront pas tort.
Toutefois, en cette matière comme dans d’autres, la logique de l’application systématique et uniforme de critères a ses limites. Des situations particulières, au cas par cas, nécessiteront toujours une appréciation affinée de leur situation.
Derrière les barèmes et les standards, le rôle de l’Avocat n’en n’est que plus important, puisqu’il se doit de porter la voix de son client et de faire entendre les spécificités de sa situation devant les juridictions.
La future réforme du droit de la rupture brutale des relations commerciales établies ne devrait pas arriver à le faire taire. Il n’en demeure pas moins qu’il faut suivre cette évolution législative de près.