26 novembre 2024
EXPERTISE IN FUTURUM ET EXPERTISE DE GESTION
Deux mesures à distinguer en droit des sociétés
Cour de cassation, chambre commerciale, 11 septembre 2024, n°22-24.160
L’expertise de gestion ne doit pas être confondue avec l’expertise in futurum.
Lorsque des associes entendent uniquement obtenir des informations relatives à la gestion de la société et non établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, la seule mesure possible est l’expertise de gestion.
Une différence de régime et de finalité
Expertise in futurum (finalité probatoire)
Une mesure d’instruction peut être ordonnée s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige (article 145 du Code de procédure civile).
Il s’agit donc de permettre à son demandeur de se préconstituer une preuve, dont il réserve l’utilisation dans le cadre d’un procès futur.
L’expertise in futurum est de portée générale et susceptible de s’appliquer en toute matière.
Expertise de gestion (finalité informative)
- Dans la SA (article L.225-231 du Code de commerce) et la SAS (article L.225-231 sur renvoi de l’article L.227-1, alinéa 3.
Un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital peuvent poser par écrit, au Président du Conseil d’administration ou au Directoire s’agissant de la SA et au Président s’agissant de la SAS, des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société.
À défaut de réponse dans un délai d’un mois ou à défaut de communication d’éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d’un expert chargé de présenter un rapport sur lesdites opérations.
- Dans la SARL (article L.223-37 du Code de commerce)
Les règles suivantes diffèrent de la SA-SAS :
– la participation minimale pour demander une expertise est de 10% (versus 5% dans les SA)
– la demande peut être présentée directement au Président du Tribunal de commerce, sans être précédée d’une consultation des dirigeants sociaux.
Les faits et la procédure
Plusieurs actionnaires minoritaires de la société anonyme Esso, représentant ensemble 2,8% du capital, ont souhaité obtenir des informations relatives aux conventions ayant pour objet l’approvisionnement de la société en pétrole brut et les ventes de produits pétroliers, conclues avec le Groupe de son actionnaire majoritaire, Exxon Mobil Corporation.
Sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, ils ont sollicité du Juge des référés la désignation d’un expert, chargé de recenser ces conventions, de vérifier la réalité des prestations convenues et la conformité de leurs conditions financières au marché.
Le Juge des référés a rejeté cette demande mais la Cour d’appel y a fait droit.
Portée de la solution
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel et juge que doit être rejetée la demande d’expertise in futurum formulée par les actionnaires minoritaires, dès lors qu’elle ne tend, « en réalité », qu’à obtenir des informations sur la gestion de la société et, comme telle, relève d’une expertise de gestion.
Selon la Cour, la mission que les minoritaires souhaitaient voir confier à l’expert visait davantage à apprécier l’opportunité des conventions intra-groupe qu’à rassembler la preuve d’irrégularités en vue d’un procès.
L’expertise de gestion était donc la seule mesure possible.
Les actionnaires minoritaires détenaient cependant un pourcentage de capital (2,8%) inférieur au seuil de détention requis (5% pour la SA), ce qui explique sans doute pourquoi ils ont sollicité une mesure d’instruction in futurum plutôt qu’une expertise de gestion.
Par cette décision, la Cour de cassation condamne cette tentative de détournement de l’expertise in futurum et circonscrit son utilisation en droit des sociétés.
Jonathan del Vecchio, avocat associé en Contentieux des affaires, est au service des dirigeants pour les assister dans les litiges rencontrés au sein de leur entreprises.